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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

M. de Talleyrand faisait partie de la régence nommée par Napoléon. Du jour où l’évêque d’Autun cessa d’être, sous l’Empire, ministre des relations extérieures, il n’avait rêvé qu’une chose, la disparition de Bonaparte suivie de la régence de Marie-Louise ; régence dont lui, prince de Bénévent, aurait été le chef. Bonaparte, en le nommant membre d’une régence provisoire en 1814, semblait avoir favorisé ses désirs secrets. La mort napoléonnienne n’était point survenue ; il ne resta à M. de Talleyrand qu’à clopiner aux pieds du colosse qu’il ne pouvait renverser, et à tirer parti du moment pour ses intérêts : le savoir-faire était le génie de cet homme de compromis et de marchés. La position se présentait difficile : demeurer dans la capitale était chose indiquée ; mais si Bonaparte revenait, le prince séparé de la régence fugitive, le prince retardataire, courait risque d’être fusillé ; d’un autre côté, comment abandonner Paris au moment où les alliés y pouvaient pénétrer ? Ne serait-ce pas renoncer au profit du succès, trahir ce lendemain des événements, pour lequel M. de Talleyrand était fait ? Loin de pencher vers les Bourbons, il les craignait à cause de ses diverses apostasies. Cependant, puisqu’il y avait une chance quelconque pour eux, M. de Vitrolles[1], avec l’assentiment du

  1. Eugène-François-Auguste d’Armand, baron de Vitrolles (1774-1854). Il s’enrôla à dix-sept ans dans l’armée de Condé ; rayé de la liste des émigrés sous le Consulat, il fut créé baron de l’Empire le 15 juin 1812. Lié avec le duc de Dalberg et avec Talleyrand, il s’associa aux vues de ce dernier en 1814, se rendit auprès des Alliés, plaida auprès du czar la cause des Bourbons. Après une entrevue à Nancy avec le Comte d’Artois, il le précéda à Paris et fut nommé par ce prince secrétaire d’État