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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

passer, à peine en sûreté sous la garde des commissaires étrangers. Sa Sainteté fut retardée dans sa marche par la chute même de son oppresseur : les autorités avaient cessé leurs fonctions ; on n’obéissait à personne ; un ordre écrit de Bonaparte, ordre qui vingt-quatre heures auparavant aurait abattu la plus haute tête et fait tomber un royaume, était un papier sans cours : quelques minutes de puissance manquèrent à Napoléon pour qu’il pût protéger le captif que sa puissance avait persécuté. Il fallut qu’un mandat provisoire des Bourbons achevât de rendre la liberté au pontife qui avait ceint de leur diadème une tête étrangère : quelle confusion de destinées !

Pie VII cheminait au milieu des cantiques et des larmes, au son des cloches, aux cris de : Vive le pape ! Vive le chef de l’Église ! On lui apportait, non les clefs des villes, des capitulations trempées de sang et obtenues par le meurtre, mais on lui présentait des malades à guérir, de nouveaux époux à bénir au bord de sa voiture ; il disait aux premiers : « Dieu vous console ! » Il étendait sur les seconds ses mains pacifiques ; il touchait de petits enfants dans les bras de leurs mères. Il ne restait aux villes que ceux qui ne pouvaient marcher. Les pèlerins passaient la nuit sur les champs pour attendre l’arrivée d’un vieux prêtre délivré. Les paysans, dans leur naïveté trouvaient que le saint-père ressemblait à Notre-Seigneur ; des protestants attendris disaient : « Voilà le plus grand homme de son siècle. » Telle est la grandeur de la véritable société chrétienne, où Dieu se mêle sans cesse avec les hommes ; telle est sur la force du glaive