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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

blessé deux fois, se noie dans l’Elster : la Pologne s’abîma avec son dernier défenseur[1].

Napoléon ne s’arrêta qu’à Erfurt : de là son bulletin annonça que son armée, toujours victorieuse, arrivait comme une armée battue : Erfurt, peu de temps auparavant, avait vu Napoléon au faîte de la prospérité.

Enfin les Bavarois, déserteurs après les autres d’une fortune abandonnée, essayent d’exterminer à Hanau[2] le reste de nos soldats. Wrède[3] est renversé par les seuls gardes d’honneur : quelques conscrits, déjà vé-

  1. Le prince Poniatowski avait été nommé maréchal de France sur le champ de bataille, le 16 octobre 1813, à la première des trois journées de Leipsick. Trois jours après, quand la grande défaite fut consommée, chargé de protéger la retraite de l’armée, il fit des prodiges de valeur, et lorsqu’il ne fut plus possible de résister, il s’élança dans l’Elster plutôt que de se rendre, et s’y noya (19 octobre).
  2. Après le désastre de Leipsick, Napoléon et les débris de son armée suivirent, pour rentrer en France, la route de Weissenfeld, Erfurt, Gotha, Fulde, jusqu’à Hanau, où l’armée autrichienne et bavaroise, commandée par le général Wrède, voulut lui barrer le chemin. L’armée française, si affaiblie, si épuisée, retrouva son énergie pour combattre d’anciens alliés devenus inopinément nos ennemis. On leur passa sur le corps ; ils perdirent 6 000 hommes, tués ou blessés, et 4 000 prisonniers. Notre perte totale fut d’environ 5 000 hommes. Ce dernier effort termina les opérations de la Grande Armée en Allemagne.
  3. Charles-Philippe, prince de Wrède (1769-1838), feld-maréchal bavarois. Par suite de l’étroite alliance qui unissait la Bavière à la France, il servit Napoléon de 1805 à 1809, et il le fit avec autant de vaillance que de talent. Pendant la campagne de Russie, il se couvrit de gloire, surtout à Polotsk et à Valontina-Cora. À Leipsick, il se battait encore dans nos rangs, mais le désastre éprouvé par Napoléon détacha de lui la Bavière. Lors de la campagne de France, en 1814, il battit Oudinot à Bar sur-Aube, et fut fait prince ; il avait été fait feld-maréchal après Wagram. Le général de Wrède est un des généraux les plus remarquables de la période napoléonienne.