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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

narques ne tinrent point leurs promesses ; ils ne donnèrent point à leurs peuples des institutions généreuses. Les enfants de la Muse (flamme par qui les masses inertes des soldats avaient été animées) furent plongés dans des cachots en récompense de leur dévouement et de leur noble crédulité. Hélas ! la génération qui rendit l’indépendance aux Teutons est évanouie ; il n’est demeuré en Germanie que de vieux cabinets usés. Ils appellent le plus haut qu’ils peuvent Napoléon un grand homme, pour faire servir leur présente admiration d’excuse à leur bassesse passée. Dans le sot enthousiasme pour l’homme qui continue à aplatir les gouvernements après les avoir fouettés, à peine se souvient-on de Kœrner : « Arminius, libérateur de la Germanie, dit Tacite, fut inconnu aux Grecs qui n’admirent qu’eux, peu célèbre chez les Romains qu’il avait vaincus ; mais les nations barbares le chantent encore, caniturque barbaras apud gentes. »

Le 18 et le 19 octobre se donna dans les champs de Leipsick ce combat que les Allemands ont appelé la bataille des nations. Vers la fin de la seconde journée, les Saxons et les Wurtembergeois, passant du camp de Napoléon sous les drapeaux de Bernadotte, décidèrent le résultat de l’action ; victoire entachée de trahison. Le prince de Suède, l’empereur de Russie et le roi de Prusse pénètrent dans Leipsick à travers trois portes différentes. Napoléon, ayant éprouvé une perte immense, se retira. Comme il n’entendait rien aux retraites de sergent, ainsi qu’il l’avait dit, il fit sauter des ponts derrière lui. Le prince Poniatowski,