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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

LE CAVALIER

« Oui, mon épée, oui, je suis un homme libre, et je t’aime du fond du cœur : je t’aime comme si tu m’étais fiancée ; je t’aime comme une maîtresse chérie.


L’ÉPÉE

« Et moi, je me suis donnée à toi ! à toi ma vie, à toi mon âme d’acier ! Ah ! si nous sommes fiancés, quand me diras-tu : Viens, viens, ma maîtresse chérie ! » Ne croit-on pas entendre un de ces guerriers du Nord, un de ces hommes de batailles et de solitudes, dont Saxo Grammaticus dit : « Il tomba, rit et mourut. »


Ce n’était point le froid enthousiasme d’un scalde en sûreté : Kœrner avait l’épée au flanc ; beau, blond et jeune. Apollon à cheval, il chantait la nuit comme l’Arabe sur sa selle ; son maoual, en chargeant l’ennemi, était accompagné du galop de son destrier. Blessé à Lützen, il se traîna dans les bois, où des paysans le retrouvèrent ; il reparut et mourut aux plaines de Leipsick, à peine âgé de vingt-cinq ans[1] : il s’était échappé des bras d’une femme qu’il aimait, et s’en allait dans tout ce que la vie a de délices. « Les femmes se plaisent, disait Tyrtée, à contempler le

  1. Koerner ne mourut pas à Leipsick (octobre 1813) ; il fut frappé à mort par un boulet dans une rencontre à Gadebusch, dans le Mecklembourg, le 27 août 1813. Il n’avait que vingt-deux ans.