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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Si le Nord imite le sublime exemple qu’offrent les Castillans, le deuil du monde est fini. L’Europe, sur le point de devenir la proie d’un monstre, recouvrerait à la fois son indépendance et sa tranquillité. Puisse enfin de ce colosse sanglant qui menaçait le continent de sa criminelle éternité ne rester qu’un long souvenir d’horreur et de pitié ! »

Ce monstre, ce colosse sanglant qui menaçait le continent de sa criminelle éternité, était si peu instruit par l’infortune qu’à peine échappé aux Cosaques, il se jeta sur un vieillard qu’il retenait prisonnier.


Nous avons vu l’enlèvement du pape à Rome, son séjour à Savone, puis sa détention à Fontainebleau. La discorde s’était mise dans le sacré collège : des cardinaux voulaient que le saint-père résistât pour le spirituel, et ils eurent ordre de ne porter que des bas noirs ; quelques-uns furent envoyés en exil dans les provinces ; quelques chefs du clergé français enfermés à Vincennes ; d’autres cardinaux opinaient à la soumission complète du pape ; ils conservèrent leurs bas rouges : c’était une seconde représentation des cierges de la Chandeleur.

Lorsqu’à Fontainebleau le pape obtenait quelque relâchement de l’obsession des cardinaux rouges, il se promenait seul dans les galeries de François Ier : il y reconnaissait la trace des arts qui lui rappelaient la ville sacrée, et de ses fenêtres il voyait les pins que Louis XVI avait plantés en face des appartements sombres où Monaldeschi fut assassiné. De ce désert, comme Jésus, il pouvait prendre en pitié les royaumes de la terre. Le septuagénaire à moitié mort, que