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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Bonaparte était si aimé que pendant quelques instants Paris fut dans la joie, excepté les autorités burlesquement arrêtées. Un souffle avait presque jeté bas l’Empire. Évadé de prison à minuit, un soldat était maître du monde au point du jour ; un songe fut près d’emporter une réalité formidable. Les plus modérés disaient : « Si Napoléon n’est pas mort, il reviendra corrigé par ses fautes et par ses revers ; il fera la paix avec l’Europe, et le reste de nos enfants sera sauvé. » Deux heures après sa femme, M. Lavalette entra chez moi pour m’apprendre l’arrestation de Malet : il ne me cacha pas (c’était sa phrase coutumière) que tout était fini. Le jour et la nuit se firent au même moment. J’ai raconté comment Bonaparte reçut cette nouvelle dans un champ de neige près de Smolensk.

Le sénatus-consulte du 12 janvier 1813 mit à la disposition de Napoléon revenu deux cent cinquante mille hommes ; l’inépuisable France vit sortir de son sang par ses blessures de nouveaux soldats. Alors on entendit une voix depuis longtemps oubliée ; quelques vieilles oreilles françaises crurent en reconnaître le son : c’était la voix de Louis XVIII ; elle s’élevait du fond de l’exil[1]. Le frère de Louis XVI annonçait des principes à établir un jour dans une charte constitutionnelle ; premières espérances de liberté qui nous venaient de nos anciens rois.

Alexandre, entré à Varsovie, adresse une proclamation à l’Europe :

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  1. Louis XVIII était alors établi, dans le comté de Buckingham, au château de Hartwell, domaine agreste et modeste d’un particulier anglais, M, Sée.