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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

L’empereur répond : « Sénateurs, ce que vous me dites m’est fort agréable. J’ai à cœur la gloire et la puissance de la France ; mais nos premières pensées sont pour tout ce qui peut perpétuer la tranquillité intérieure .   .   .   .   .   pour ce trône auquel sont attachées désormais les destinées de la patrie .  .  .  .  .   J’ai demandé à la Providence un nombre d’années déterminé .  .  .  .  .   J’ai réfléchi à ce qui a été fait aux différentes époques ; j’y penserai encore. »

L’historien des reptiles, en osant congratuler Napoléon sur les prospérités publiques, est cependant effrayé de son courage ; il a peur d’être ; il a bien soin de dire que l’autorité du Sénat n’existe que lorsque le monarque la réclame et la met en mouvement. On avait tant à craindre de l’indépendance du Sénat !

Bonaparte, s’excusant à Saint-Hélène, dit : « Sont-ce les Russes qui m’ont anéanti ? Non, ce sont de faux rapports, de sottes intrigues, de la trahison, de la bêtise, bien des choses enfin qu’on saura peut-être un jour et qui pourront atténuer ou justifier les deux fautes grossières, en diplomatie comme en guerre, que l’on a le droit de m’adresser. »

Des fautes qui n’entraînent que la perte d’une bataille ou d’une province permettent des excuses en paroles mystérieuses, dont on renvoie l’explication à l’avenir ; mais des fautes qui bouleversent la société, et font passer sous le joug l’indépendance d’un peuple, ne sont pas effacées par les défaites de l’orgueil.

Après tant de calamités et de faits héroïques, il est rude à la fin de n’avoir plus à choisir dans les paroles du Sénat qu’entre l’horreur et le mépris.