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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Les excuses que l’on a données de la fuite de Bonaparte sont inadmissibles : la preuve est là, puisque son départ, qui devait tout sauver, ne sauva rien. Cet abandon, loin de réparer les malheurs, les augmenta et hâta la dissolution de la Fédération rhénane.

Le vingt-neuvième et dernier bulletin de la grande armée, daté de Molodetschino le 3 décembre 1812, arrivé à Paris le 18, n’y précéda Napoléon que de deux jours[1] : il frappa la France de stupeur, quoiqu’il soit loin de s’exprimer avec la franchise dont on l’a loué ; des contradictions frappantes s’y remarquent et ne parviennent pas à couvrir une vérité qui perce partout. À Sainte-Hélène (comme on l’a vu ci-dessus), Bonaparte s’exprimait avec plus de bonne foi : ses révélations ne pouvaient plus compromettre un diadème alors tombé de sa tête. Il faut pourtant écouter encore un moment le ravageur :

« Cette armée, » dit-il dans le bulletin du 3 décembre 1812, « si belle le 6, était bien différente dès le

  1. Napoléon arriva à Paris le 20 décembre, deux jours, en effet, après la publication du 29e bulletin. « On était, dit Mme de Chastenay (Mémoires, II, 221), dans toute la stupeur causée par le bulletin de consternation, quand on apprit avec un redoublement de surprise que l’empereur était aux Tuileries. Il avait, en effet, parcouru toute l’Allemagne aussi rapidement qu’un courrier ; sa voiture s’étant brisée à Meaux, il s’était jeté, avec le duc de Vicence, dans le cabriolet de la poste et avait paru, vers dix heures du soir, à la grille des Tuileries, où, dans ce honteux équipage, la garde avait eu quelque peine à reconnaître son empereur… Un bain, un bon souper, quelques heures de repos avaient réparé ses forces ; les tailleurs avaient travaillé à lui préparer des vêtements, — il n’avait sauvé que ceux dont il était couvert, — et, le lendemain avant midi, tous les corps constitués, en députation au palais, le félicitaient sur son retour, sans lui demander, comme Auguste, ce qu’il avait fait de ses légions. »