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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

compte une perte de trois cent treize mille hommes dans une campagne de quatre mois[1].

Murat, parvenu à Gumbinnen, rassembla ses officiers et leur dit : « Il n’est plus possible de servir un insensé ; il n’y a plus de salut dans sa cause ; aucun prince de l’Europe ne croit plus à ses paroles ni à ses traités. » De là il se rendit à Posen et, le 16 janvier 1813, il disparut. Vingt-trois jours après, le prince de Schwarzenberg quitta l’armée : elle passa sous le commandement du prince Eugène. Le général York[2], d’abord blâmé ostensiblement par Frédéric-Guillaume et bientôt réconcilié avec lui, se retira en emmenant les Prussiens : la défection européenne commençait.


Dans toute cette campagne Bonaparte fut inférieur à ses généraux, et particulièrement au maréchal Ney.

  1. Dans ses Mémoires, toujours si dramatiques et si intéressants, mais souvent si étrangement inexacts, le général Marbot (tome III. p. 233) n’a pas craint d’avancer que « la perte totale des Français régnicoles fut, pendant la campagne de Russie, de soixante-cinq mille hommes seulement ». Il traite de libellistes et de romanciers les historiens qui donnent un chiffre plus élevé. Or, M. Thiers, qui n’était pourtant pas un détracteur de Napoléon, après avoir étudié avec le plus grand soin tous les états de troupes, est arrivé à cette conclusion (tome XIV, p. 671) : « Il n’y a aucune exagération à dire que trois cent mille hommes (de la Grande-Armée) moururent par le feu, par la misère ou par le froid. La part des Français dans cette horrible hécatombe fut de plus des deux tiers. » Le chiffre donné par Chateaubriand concorde, on le voit, avec celui que devait trouver plus tard M. Thiers.
  2. Le général York commandait le corps prussien qui faisait partie du 10e corps de la Grande-Armée, placé sous les ordres du maréchal duc de Tarente. Il avait conclu, le 30 décembre 1812, avec les généraux russes Clausewitz et Diebitsch, une convention, par laquelle il s’engageait à observer la neutralité jusqu’au moment où le roi de Prusse lui aurait transmis ses instructions.