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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Quel gémissement Bonaparte a-t-il pour une pareille catastrophe, pour cet événement de douleur, un des plus grands de l’histoire ; pour des désastres qui surpassent ceux de l’armée de Cambyse ? Quel cri est arraché de son âme ? Ces quatre mots de son bulletin : « Pendant la journée du 26 et du 27 l’armée passa. » Vous venez de voir comment ! Napoléon ne fut pas même attendri par le spectacle de ces femmes élevant dans leurs bras leurs nourrissons au-dessus des eaux. L’autre grand homme qui par la France a régné sur le monde, Charlemagne, grossier barbare apparemment, chanta et pleura (poète qu’il était aussi) l’enfant englouti dans l’Èbre en se jouant sur la glace :

Trux puer adstricto glacie dum ludit in Hebro.

Le duc de Bellune était chargé de protéger le passage. Il avait laissé en arrière le général Partouneaux[1] qui fut obligé de capituler. Le duc de Reggio,

  1. Louis, comte Partouneaux (1770-1835). Général de division depuis le 27 août 1803, il avait les plus brillants états de services. Pendant la campagne de 1812, il commanda la 1re division du 9e corps, placé sous les ordres du duc de Bellune. Lors de la retraite, il fut posté à Borizow pour tromper l’ennemi et permettre à l’armée de franchir la Bérésina. Dans la nuit du 27 au 28 novembre, il fut attaqué, à l’est, par les cosaques de Platof, au nord, par Wittgenstein, à l’ouest, par Tahetchakof ; acculé contre la Bérésina par des forces supérieures, n’ayant lui-même que 2 000 hommes, il dut mettre bas les armes. Dans le 29e bulletin, Napoléon, cherchant à rejeter sur d’autres des responsabilités qui devaient tout entières peser sur lui seul, essaya de flétrir un de ses plus glorieux soldats. Le général a victorieusement répondu dans deux brochures : Adresse et rapports sur l’affaire du 27 au 28 novembre 1812, qu’a eue la 1re division du 9e corps de la Grande-Armée au passage de la Bérésina (1815). — Lettre sur le compte rendu par plusieurs historiens de la campagne