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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sans pitié comme des ennemis. Dans cet épouvantable fracas d’un ouragan furieux, de coups de canon, du sifflement de la tempête, de celui des boulets, des explosions des obus, de vociférations, de gémissements, de jurements effroyables, cette foule désordonnée n’entendait pas les plaintes des victimes qu’elle engloutissait[1]. »

Les autres témoignages sont d’accord avec les récits de M. de Ségur : pour leur collation et leur preuve, je ne citerai plus que ce passage des Mémoires de Vaudoncourt :

« La plaine assez grande qui se trouve devant Vésévolo offre, le soir, un spectacle dont l’horreur est difficile à peindre. Elle est couverte de voitures et de fourgons, la plupart renversés les uns sur les autres et brisés. Elle est jonchée de cadavres d’individus non militaires, parmi lesquels on ne voit que trop de femmes et d’enfants traînés, à la suite de l’armée, jusqu’à Moscou, ou fuyant cette ville pour suivre leurs compatriotes, et que la mort avait frappés de différentes manières. Le sort de ces malheureux, au milieu de la mêlée des deux armées, fut d’être écrasés sous les roues des voitures ou sous les pieds des chevaux ; frappés par les boulets ou par les balles des deux partis ; noyés en voulant passer les ponts avec les troupes, ou dépouillés par les soldats ennemis et jetés nus sur la neige où le froid termina bientôt leurs souffrances[2]. »

  1. Ségur, livre XI, chap. VIII et IX.
  2. Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre entre la France et la Russie en 1812, par le général de Vaudoncourt, 1816.