rant avec des fougasses : pour lui, il se rendit à Krasnoï, où il s’établit le 16, après que cette station eut été pillée par les Russes. Les Moscovites rétrécissaient leur cercle : la grande armée dite de Moldavie était dans le voisinage ; elle se préparait à nous cerner tout à fait et à nous jeter dans la Bérésina.
Le reste de nos bataillons diminuait de jour en jour. Kutuzof, instruit de nos misères, remuait à peine : « Sortez seulement un moment de votre quartier général, » s’écriait Wilson ; « avancez-vous sur les hauteurs, vous verrez que le dernier moment de Napoléon est venu. La Russie réclame cette victime : il n’y a plus qu’à frapper ; une charge suffira ; dans deux heures la face de l’Europe sera changée. »
Cela était vrai ; mais il n’y aurait eu que Bonaparte de particulièrement frappé, et Dieu voulait appesantir sa main sur la France.
Kutuzof répondait : « Je fais reposer mes soldats tous les trois jours ; je rougirais, je m’arrêterais aussitôt, si le pain leur manquait un seul instant. J’escorte l’armée française ma prisonnière ; je la châtie dès qu’elle veut s’arrêter ou s’éloigner de la grande route. Le terme de la destinée de Napoléon est irrévocablement marqué : c’est dans les marais de la Bérésina que s’éteindra le météore en présence de toutes les armées russes. Je leur aurai livré Napoléon affaibli, désarmé, mourant : c’est assez pour ma gloire. »
Bonaparte avait parlé du vieux Kutuzof avec ce dédain insultant dont il était si prodigue : le vieux Kutuzof à son tour lui rendait mépris pour mépris.