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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

léon. Il est certain qu’à Saint-Pétersbourg on ne doutait point du succès de l’empereur s’il se présentait : mais on se préparait à lui laisser une seconde carcasse de cité, et la retraite sur Archangel était jalonnée. On ne soumet point une nation dont le pôle est la dernière forteresse. De plus les flottes anglaises, pénétrant au printemps dans la Baltique, auraient réduit la prise de Saint-Pétersbourg à une simple destruction.

Mais tandis que l’imagination sans frein de Bonaparte jouait avec l’idée d’un voyage à Saint-Pétersbourg, il s’occupait sérieusement de l’idée contraire : sa foi dans son espérance n’était pas telle qu’elle lui ôtât tout bon sens. Son projet dominant était d’apporter à Paris une paix signée à Moscou. Par là il se serait débarrassé des périls de la retraite, il aurait accompli une étonnante conquête, et serait rentré aux Tuileries le rameau d’olivier à la main. Après le premier billet qu’il avait écrit à Alexandre en arrivant au Kremlin, il n’avait négligé aucune occasion de renouveler ses avances. Dans un entretien bienveillant avec un officier russe, M. de Toutelmine, sous-directeur de l’hôpital des Enfants trouvés à Moscou, hôpital miraculeusement épargné de l’incendie, il avait glissé des paroles favorables à un accommodement. Par M. Jacowlef, frère de l’ancien ministre russe à Stuttgart, il écrivit directement à Alexandre, et M. Jacowlef prit l’engagement de remettre cette lettre au czar sans intermédiaire. Enfin le général Lauriston fut envoyé à Kutuzof : celui-ci promit ses bons offices pour une négociation pacifique ; mais il refusa au général Lauriston de lui délivrer un sauf-conduit pour Saint-Pétersbourg.