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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

la tombe, la pointe de leur lance renversée contre terre : on croyait voir les funérailles décrites par l’historien des Goths, ou les cohortes prétoriennes renversant leurs faisceaux devant les cendres de Germanicus, versi fasces. « Le vent fait tomber les flocons de neige que le printemps du nord porte dans ses cheveux. » (Edda de Sœmund.)


Bonaparte écrivit de Smolensk en France qu’il était maître des salines russes et que son ministre du Trésor pouvait compter sur quatre-vingts millions de plus.

La Russie fuyait vers le pôle : les seigneurs, désertant leurs châteaux de bois, s’en allaient avec leurs familles, leurs serfs et leurs troupeaux. Le Dniéper, ou l’ancien Borysthène, dont les eaux avaient jadis été déclarées saintes par Wladimir, était franchi : ce fleuve avait envoyé aux peuples civilisés des invasions de Barbares ; il subissait maintenant les invasions des peuples civilisés. Sauvage déguisé sous un nom grec, il ne se rappelait même plus les premières migrations des Slaves ; il continuait de couler inconnu parmi ses forêts, portant dans ses barques, au lieu des enfants d’Odin, des châles et des parfums aux femmes de Saint-Pétersbourg et de Varsovie. Son histoire pour le monde ne commence qu’à l’orient des montagnes où sont les autels d’Alexandre.

De Smolensk on pouvait également conduire une armée à Saint-Pétersbourg et à Moscou. Smolensk aurait dû avertir le vainqueur de s’arrêter ; il en eut un moment l’envie : « L’empereur, dit M. Fain[1], décou-

  1. Manuscrit de 1812, contenant le précis des événements de cette année, pour servir à l’histoire de Napoléon. — Agathon-