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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

guerre d’Espagne et celle de Russie étaient deux chancres qui rongeaient la France ? » Mais pour faire la paix il fallait être deux, et l’on ne recevait pas une seule lettre d’Alexandre.

Et ces chancres de qui venaient-ils ? Ces inconséquences passent inaperçues et se changent même au besoin en preuves de la candide sincérité de Napoléon.

Bonaparte se croirait dégradé s’il s’arrêtait dans une faute qu’il reconnaît. Ses soldats se plaignent de ne plus le voir qu’aux moments des combats, toujours pour les faire mourir, jamais pour les faire vivre ; il est sourd à ces plaintes. La nouvelle de la paix entre les Russes et les Turcs le frappe et ne le retient pas : il se précipite à Smolensk. Les proclamations des Russes disaient : « Il vient (Napoléon), la trahison dans le cœur et la loyauté sur les lèvres, il vient nous enchaîner avec ses légions d’esclaves. Portons la croix dans nos cœurs et le fer dans nos mains ; arrachons les dents à ce lion ; renversons le tyran qui renverse la terre. »

Sur les hauteurs de Smolensk, Napoléon retrouve l’armée russe, composée de cent vingt mille hommes : « Je les tiens ! » s’écrie-t-il. Le 17, au point du jour[1], Belliard poursuit une bande de Cosaques et la jette dans le Dniéper ; le rideau replié, on aperçoit l’armée ennemie sur la route de Moscou : elle se retirait. Le rêve de Bonaparte lui échappe encore. Murat, qui avait trop contribué à la vaine poursuite, dans son désespoir voulait mourir. Il refusait de quitter une de nos batteries écrasée par le feu de la citadelle de Smolensk non encore évacuée : « Retirez-vous tous ; lais-

  1. Le 17 août.