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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Trois jours furent employés au passage des troupes[1] ; elles prenaient rang et s’avançaient. Napoléon s’empressait sur la route ; le temps lui criait : « Marche ! marche ! » comme parle Bossuet.

À Wilna, Bonaparte reçut le sénateur Wibicki, de la Diète de Varsovie : un parlementaire russe, Balachof, se présente à son tour ; il déclare qu’on pouvait encore traiter, qu’Alexandre n’était point l’agresseur, que les Français se trouvaient en Russie sans aucune déclaration de guerre. Napoléon répond qu’Alexandre n’est qu’un général à la parade ; qu’Alexandre n’a que trois généraux : Kutuzof, dont lui, Bonaparte, ne se soucie pas parce qu’il est Russe ; Benningsen, déjà trop vieux il y a six ans, et maintenant en enfance ; Barclay, général de retraite. Le duc de Vicence, s’étant cru insulté par Bonaparte dans la conversation, l’interrompit d’une voix irritée : « Je suis bon Français ; je l’ai prouvé : je le prouverai encore, en répétant que cette guerre est impolitique, dangereuse, qu’elle perdra l’armée, la France et l’empereur. »

Bonaparte avait dit à l’envoyé russe : « Croyez-vous que je me soucie de vos jacobins de Polonais ? » Madame de Staël rapporte ce dernier propos ; ses hautes liaisons la tenaient bien informée : elle affirme qu’il existait une lettre écrite à M. de Romanzof par un ministre de Bonaparte, lequel proposait de rayer des actes européens le nom de Pologne et de Polo-

  1. Les 24, 25 et 26 juin. « Il en passa pendant quarante-huit heures, le 24 et le 25, jour et nuit. Le 26, on voyait encore arriver au fleuve les cuirassiers et les dragons de Grouchy, complétant l’ensemble des effectifs déversés sur la rive droite par l’Empereur lui-même. » Albert Vandal, tome III, p. 487.