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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

veut être l’échanson du sous-lieutenant de Brienne, l’autre son pannetier. L’histoire de Charlemagne est mise à contribution par l’érudition des chancelleries allemandes : plus on était élevé, plus on était rampant : « Une dame de Montmorency, dit Bonaparte dans Las Cases, se serait précipitée pour renouer les souliers de l’impératrice. »

Lorsque Bonaparte traversait le palais de Dresde pour se rendre à un gala préparé, il marchait le premier et en avant, le chapeau sur la tête ; François II suivait, chapeau bas, accompagnant sa fille, l’impératrice Marie-Louise ; la tourbe des princes venait pêle-mêle derrière, dans un respectueux silence. L’impératrice d’Autriche manquait au cortège ; elle se disait souffrante, ne sortait de ses appartements qu’en chaise à porteurs, pour éviter de donner le bras à Napoléon, qu’elle détestait. Ce qui restait de sentiments nobles s’était retiré au cœur des femmes.

Un seul roi, le roi de Prusse, fut d’abord tenu à l’écart : « Que me veut ce prince ? » s’écriait Bonaparte avec impatience. « N’est-ce pas assez de l’importunité de ses lettres ? Pourquoi veut-il me persécuter encore de sa présence ? Je n’ai pas besoin de lui. »

Le grand crime de Frédéric-Guillaume auprès du républicain Bonaparte était d’avoir abandonné la cause des rois. Les négociations de la cour de Berlin avec le Directoire décelaient en ce prince, disait Bonaparte, une politique timide, intéressée, sans noblesse, qui sacrifiait sa dignité et la cause générale des trônes à de petits agrandissements. Quand il regardait sur une carte la nouvelle Prusse, il s’écriait : « Se peut-il que j’aie laissé à cet homme tant de pays ! « Des trois com-