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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pour m’abattre[1]. » C’était encore une copie : les Vandales en Afrique, Alaric en Italie, disaient ne céder qu’à une impulsion surnaturelle : divino jussu perurgeri.

L’absurde et honteuse querelle avec le pape augmentant les dangers de la position de Bonaparte, le cardinal Fesch le conjurait de ne pas s’attirer à la fois l’inimitié du ciel et de la terre : Napoléon prit son oncle par la main, le mena à une fenêtre (c’était la nuit) et lui dit : « Voyez-vous cette étoile ? — Non, sire. — Regardez bien. — Sire, je ne la vois pas. — Eh bien, moi, je la vois[2]. »

« Vous aussi, disait Bonaparte à M. de Caulaincourt, vous êtes devenu Russe. »

« Souvent, assure M. de Ségur, on le voyait (Napoléon) à demi renversé sur un sofa, plongé dans une méditation profonde ; puis il en sort tout à coup comme en sursaut, convulsivement et par des exclamations ; il croit s’entendre nommer et s’écrie : Qui m’appelle ? Alors il se lève, marche avec agitation[3]. » Quand le Balafré touchait à sa catastrophe, il monta sur la terrasse du château de Blois, appelée le Perche aux Bretons : sous un ciel d’automne, une campagne déserte s’étendant au loin, on le vit se promener à grands pas avec des mouvements furieux. Bonaparte, dans ses hésitations salutaires, dit : « Rien n’est assez établi autour de moi pour une guerre aussi lointaine ; il faut la retarder de trois ans. » Il offrait de déclarer au czar qu’il ne contri-

  1. Ségur, livre II, chap. II.
  2. Ségur, livre II, chap. III.
  3. Ségur, livre II, chap. IV.