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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

posèrent à cette entreprise une foule d’objections : « Il ne faut pas, » disait courageusement le dernier (Histoire de la Grande-Armée), « en s’emparant du continent et même des États de la famille de son allié, accuser cet allié de manquer au système continental. Quand les armées françaises couvraient l’Europe, comment reprocher aux Russes leur armée ? Fallait-il donc se jeter par delà tous ces peuples de l’Allemagne, dont les plaies faites par nous n’étaient point encore cicatrisées ? Les Français ne se reconnaissaient déjà plus au milieu d’une patrie qu’aucune frontière naturelle ne limitait. Qui donc défendra la véritable France abandonnée ? — Ma renommée, répliqua l’empereur[1]. » Médée avait fourni cette réponse : Napoléon faisait descendre à lui la tragédie.

Il annonçait le dessein d’organiser l’empire en cohortes de ban et d’arrière-ban : sa mémoire était une confusion de temps et de souvenirs. À l’objection des divers partis existants encore dans l’empire, il répondait : « Les royalistes redoutent plus ma perte qu’ils ne la désirent. Ce que j’ai fait de plus utile et de plus difficile a été d’arrêter le torrent révolutionnaire : il aurait tout englouti. Vous craignez la guerre pour mes jours ? Me tuer, moi, c’est impossible : ai-je donc accompli les volontés du Destin ? Je me sens poussé vers un but que je ne connais pas. Quand je l’aurai atteint, un atome suffira

    Mémoires. Il était le père du général Philippe de Ségur, l’historien de Napoléon et la Grande-Armée pendant l’année 1812.

  1. Histoire de Napoléon et de la Grande-Armée pendant l’année 1812, par le général comte de Ségur, livre II, chap. II.