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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

rable. Grosbois[1] fut donné à Berthier. La fortune ayant mis le sceptre de Charles XII aux mains d’un compatriote de Henri IV, Charles-Jean se refusa à l’ambition de Napoléon ; il pensa qu’il lui était plus sûr d’avoir pour allié Alexandre, son voisin, que Napoléon, ennemi éloigné ; il se déclara neutre, conseilla la paix et se proposa pour médiateur entre la Russie et la France.

Bonaparte entre en fureur ; il s’écrie : « Lui, le misérable, il me donne des conseils ! il veut me faire la loi ! un homme qui tient tout de ma bonté ! quelle ingratitude ! Je saurai bien le forcer de suivre mon impulsion souveraine ! » À la suite de ces violences, Bernadotte signa le 24 mars 1812 le traité de Saint-Pétersbourg[2].

Ne demandez pas de quel droit Bonaparte traitait Bernadotte de misérable, oubliant qu’il ne sortait, lui Bonaparte, ni d’une source plus élevée, ni d’une autre origine : la Révolution et les armes. Ce langage insultant n’annonçait ni la hauteur héréditaire du rang, ni la grandeur de l’âme. Bernadotte n’était point ingrat, il ne devait rien à la bonté de Bonaparte.

L’empereur s’était transformé en un monarque de vieille race qui s’attribue tout, qui ne parle que de lui, qui croit récompenser ou punir en disant qu’il est satisfait ou mécontent. Beaucoup de siècles passés

  1. Comme la maison de la rue d’Anjou, la terre de Grosbois était une dépouille de Moreau.
  2. Bernadotte s’engageait à entrer en campagne avec trente mille hommes. La Norwège était promise à la Suède. Le 3 mai 1812, l’Angleterre accéda au traité du 24 mars, qui fut le préliminaire de la sixième coalition.