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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

la vertu (Tugendbund) qui enserrait peu à peu la jeune Allemagne.

Bonaparte négociait, il faisait des promesses : il laissait espérer au roi de Prusse la possession des provinces russes allemandes ; le roi de Saxe et l’Autriche se flattaient d’obtenir des agrandissements dans ce qui restait encore de la Pologne ; des princes de la Confédération du Rhin rêvaient des changements de territoire à leur convenance ; il n’y avait pas jusqu’à la France que Napoléon ne méditât d’élargir, quoiqu’elle débordât déjà sur l’Europe ; il prétendait l’augmenter nominativement de l’Espagne. Le général Sébastiani lui dit : « Et votre frère ? » Napoléon répliqua : « Qu’importe mon frère ! est-ce qu’on donne un royaume comme l’Espagne ? » Le maître disposait par un mot du royaume qui avait coûté tant de malheurs et de sacrifices à Louis XIV ; mais il ne l’a pas gardé si longtemps. Quant aux peuples, jamais homme n’en a moins tenu compte et ne les a plus méprisés que Bonaparte : il en jetait des lambeaux à la meute de rois qu’il conduisait à la chasse, le fouet à la main : « Attila, » dit Jornandès, « menait avec lui une foule de princes tributaires qui attendaient avec crainte et tremblement un signe du maître des monarques pour exécuter ce qui leur serait ordonné. »

Avant de marcher en Russie avec ses alliées l’Autriche et la Prusse, avec la Confédération du Rhin composée de rois et de princes, Napoléon avait voulu assurer ses deux flancs qui touchaient aux deux bords de l’Europe : il négociait deux traités, l’un au midi avec Constantinople, l’autre au nord avec Stockholm. Ces traités manquèrent.