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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Tout paraît achevé ; Bonaparte a obtenu la seule chose qui lui manquait : comme Philippe-Auguste s’alliant à Isabelle de Hainaut, il confond la dernière race avec la race des grands rois ; le passé se réunit à l’avenir. En arrière comme en avant, il est désormais le maître des siècles s’il se veut enfin fixer au sommet ; mais il a la puissance d’arrêter le monde et n’a pas celle de s’arrêter : il ira jusqu’à ce qu’il ait conquis la dernière couronne qui donne du prix à toutes les autres, la couronne du malheur.

L’archiduchesse Marie-Louise, le 20 mars 1811, accouche d’un fils[1] : sanction supposée des félicités pré-

    une pluie battante, le canon annonça l’entrée dans la ville de l’auguste couple. À l’instant toutes nos royautés des deux sexes vinrent s’étager sur les marches du perron et se trouvèrent à la descente de la voiture impériale. L’Empereur en sortit, donnant la main à l’Impératrice, et lui présenta rapidement toute sa famille. Ainsi fit-il dans la galerie, comme au pas de course… Le souper fut servi dans l’appartement de Marie-Louise. Il n’y eut en tiers que la reine de Naples, qui, mourant de sommeil, se congédia en sortant de table. Or, qui de trois ôte un, reste deux… Le lendemain, à midi, l’Empereur déjeunait auprès du lit de l’impératrice… Ce fut la chancellerie qui resta vierge, et Napoléon un simple mortel. » Norvins, Mémorial, t. III, p. 280. — Voir aussi les Mémoires de M. de Bausset.

  1. Le Moniteur du 21 mars contenait, à la date du 20, cet avis solennel : « Aujourd’hui, 20 mars, à neuf heures du matin, l’espoir de la France a été rempli. Sa Majesté l’Impératrice est heureusement accouchée d’un prince. Le Roi de Rome et son auguste Mère sont en parfaite santé. » — Le 17 février 1810, trois jours après l’adhésion officielle de l’empereur d’Autriche au mariage de l’archiduchesse Marie-Louise avec Napoléon, le ministre d’État, comte Regnaud de Saint-Jean d’Angély, avait lu aux sénateurs réunis en séance solennelle l’exposé des motifs du sénatus-consulte qui réunissait l’État de Rome à l’Empire. Après avoir félicité Napoléon de placer une seconde fois sur sa tête la couronne de Charlemagne, le ministre, dévoilant la pensée maîtresse de son souverain, avait ajouté : « Il veut que l’héritier de