Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/261

Cette page a été validée par deux contributeurs.
249
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

les écoles que vous avez suivies, on enseigne cette doctrine ? — Un grand nombre de ceux qui les ont suivies avec moi sont animés de ces sentiments et disposés à dévouer leur vie au salut de la patrie. — Que feriez-vous si je vous mettais en liberté ? — Je vous tuerais. »

« La terrible naïveté de ces réponses, la froide et inébranlable résolution qu’elles annonçaient, et ce fanatisme, si fort au-dessus de toutes les craintes humaines, firent sur Napoléon une impression que je jugeai d’autant plus profonde qu’il montrait plus de sang-froid. Il fit retirer tout le monde, et je restai seul avec lui. Après quelques mots sur un fanatisme aussi aveugle et aussi réfléchi, il me dit : « Il faut faire la paix. » Ce récit du duc de Cadore méritait d’être cité en entier[1].

  1. Le récit du général Rapp, dans ses Mémoires, p. 141 et suiv., est de tous points conforme à celui du duc de Cadore. — Chateaubriand ne donne pas le nom du jeune Allemand qui avait voulu tuer Napoléon. Il s’appelait Frédéric Stapss. C’était le 12 octobre, au moment où l’Empereur, passant une grande revue à Schœnbrünn, assistait au défilé des troupes entre le maréchal Berthier, son chef d’état-major, et le général Rapp, son aide de camp. Un jeune homme, presque un enfant, la main droite enfoncée sous sa redingote, dans une poche d’où sortait un papier, s’avança vers lui. Berthier, s’imaginant que ce jeune homme voulait présenter une pétition, se plaça entre lui et l’Empereur, et lui dit de remettre sa pétition à l’aide de camp Rapp. Stapss répondit qu’il voulait parler à Napoléon lui-même ; puis, comme il s’était avancé de nouveau et s’approchait de très près, Rapp lui signifia de se retirer, en ajoutant que, s’il avait quelque chose à demander, on l’écouterait après la parade. Son regard et son air résolus donnèrent des soupçons à l’aide de camp ; appelant un officier de gendarmerie qui se trouvait là, il le fit arrêter et conduire au château. On trouva sur lui un couteau de cuisine, Stapss déclara qu’il avait voulu s’en servir pour