Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/254

Cette page a été validée par deux contributeurs.
242
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

masse-la, de crainte de perdre ce que tu n’as gagné qu’avec beaucoup de travail. »

Pendant sa traversée de la France, on ne permit pas à Pie VII de descendre de voiture. S’il prenait quelque nourriture, c’était dans cette voiture même, que l’on enfermait dans les remises de la poste. Le 20 juin au matin, il arriva à Fontainebleau ; Bonaparte trois jours après franchissait le Niémen pour commencer son expiation. Le concierge refusa de recevoir le captif, parce qu’aucun ordre ne lui était encore parvenu. L’ordre envoyé de Paris, le pape entra dans le château ; il y fit entrer avec lui la justice céleste : sur la même table où Pie VII appuyait sa main défaillante, Napoléon signa son abdication.

Si l’inique invasion de l’Espagne souleva contre Bonaparte le monde politique, l’ingrate occupation de Rome lui rendit contraire le monde moral : sans la moindre utilité, il s’aliéna comme à plaisir les peuples et les autels, l’homme et Dieu. Entre les deux précipices qu’il avait creusés aux deux bords de sa vie, il alla, par une étroite chaussée, chercher sa destruction au fond de l’Europe, comme sur ce pont que la Mort, aidée du mal, avait jeté à travers le chaos.

Pie VII n’est point étranger à ces Mémoires : c’est le premier souverain auprès duquel j’aie rempli une mission dans ma carrière politique, commencée et subitement interrompue sous le Consulat. Je le vois encore me recevant au Vatican, le Génie du christianisme ouvert sur sa table, dans le même cabinet où j’ai été admis aux pieds de Léon XII et de Pie VIII. J’aime à rappeler ce qu’il a souffert : les douleurs qu’il