Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/250

Cette page a été validée par deux contributeurs.
238
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

d’Alexandrie et de Mondovi, Pie VII gagna le premier village français ; il y fut accueilli avec des effusions de tendresse religieuse ; il disait : « Dieu pourrait-il nous ordonner de paraître insensible à ces marques d’affection ? »

Les Espagnols faits prisonniers à Saragosse étaient détenus à Grenoble : de même que ces garnisons d’Européens oubliées sur quelques montagnes des Indes, ils chantaient la nuit et faisaient retentir ces climats étrangers des airs de la patrie. Tout à coup le pape descend ; il semblait avoir entendu ces voix chrétiennes. Les captifs volent au-devant du nouvel opprimé ; ils tombent à genoux ; Pie VII jette presque tout son corps hors de la portière ; il étend ses mains amaigries et tremblantes sur ces guerriers qui avaient défendu la liberté de l’Italie avec l’épée, comme il avait défendu la liberté de l’Espagne avec la foi ; les deux glaives se croisent sur des têtes héroïques.

De Grenoble Pie VII atteignit Valence. Là, Pie VI avait expiré[1] ; là, il s’était écrié quand on le montra au peuple : « Ecce homo ! » Là, Pie VI se sépara de Pie VII ; le mort, rencontrant sa tombe, y rentra ; il fit cesser la double apparition, car jusqu’alors on avait vu comme deux papes marchant ensemble, ainsi que l’ombre accompagne le corps. Pie VII portait l’anneau

  1. Pie VI, traîné par le Directoire de prison en prison, avait été amené à Valence le 11 juillet 1799 ; il mourut dans cette ville le 29 août de la même année, en pardonnant à ceux qui depuis dix-huit mois l’avaient traité avec tant de lâcheté et de barbarie : « Recommandez surtout à mon successeur de pardonner aux Français comme je leur pardonne de tout mon cœur. » Comme lui, son successeur sera odieusement persécuté, et il pardonnera comme lui.