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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

qui se chargea de faire justice des horribles impiétés de l’auteur du Génie du christianisme. Hélas ! il doit s’apercevoir qu’aujourd’hui son zèle est appelé à bien d’autres combats.

M. l’évêque de Chartres est le frère de mon excellent ami, M. de Clausel, très grand chrétien, qui ne s’est pas laissé emporter par une vertu aussi sublime que le critique, son frère.

Je pensai devoir répondre à la censure, comme je l’avais fait à l’égard du Génie du christianisme. Montesquieu, par sa défense de l’Esprit des lois, m’encourageait. J’eus tort. Les auteurs attaqués diraient les meilleures choses du monde, qu’ils n’excitent que le sourire des esprits impartiaux et les moqueries de la foule. Ils se placent sur un mauvais terrain : la position défensive est antipathique au caractère français. Quand, pour répondre à des objections, je montrais qu’en stigmatisant tel passage, on avait attaqué quelque beau reste de l’antique ; battu sur le fait, on se tirait d’affaire en disant alors que les Martyrs n’étaient qu’un pastiche. Si je justifiais la présence simultanée des deux religions par l’autorité même des Pères de l’Église, on répliquait qu’à l’époque où je plaçais l’action des Martyrs, le paganisme n’existait plus chez les grands esprits.

Je crus de bonne fois l’ouvrage tombé ; la violence de l’attaque avait ébranlé ma conviction d’auteur. Quelques amis me consolaient ; ils soutenaient que la proscription n’était pas justifiée, que le public, tôt ou tard, porterait un autre arrêt ; M. de Fontanes surtout était ferme : je n’étais pas Racine, mais il pouvait être Boileau, et il ne cessait de me dire : « Ils y revien-