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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

n’avait pas de quoi se changer ; Pacca aida la servante à faire le lit de Sa Sainteté. Le lendemain le pape rencontra des paysans ; il leur dit : « Courage et prières ! » On traversa Sienne ; on entra dans Florence, une des roues de la voiture se brisa ; le peuple ému s’écriait : « Santo padre ! santo padre ! » Le pape fut tiré hors de la voiture renversée par une portière. Les uns se prosternaient, les autres touchaient les vêtements de Sa Sainteté, comme le peuple de Jérusalem la robe du Christ.

Le pape put enfin se remettre en route pour la Chartreuse ; il hérita dans cette solitude de la couche que dix ans auparavant avait occupée Pie VI, lorsque deux palefreniers hissaient celui-ci dans la voiture et qu’il poussait des gémissements de souffrance. La Chartreuse appartenait au site de Vallombrosa ; par une succession de forêts de pins on arrivait aux Camaldules, et de là, de rocher en rocher, à ce sommet de l’Apennin qui voit les deux mers. Un ordre subit contraignit Pie VII de repartir pour Alexandrie ; il n’eut que le temps de demander un bréviaire au prieur ; Pacca fut séparé du souverain pontife.

De la Chartreuse à Alexandrie la foule accourut de toutes parts ; on jetait des fleurs au captif, on lui donnait de l’eau, on lui présentait des fruits ; des gens de la campagne prétendaient le délivrer et lui disaient : « Vuole ? dica. » Un pieux larron lui déroba une épingle, relique qui devait ouvrir au ravisseur les portes du ciel.

À trois mille de Gènes une litière conduisit le pape au bord de la mer ; une felouque le transporta de l’autre côté de la ville à Saint-Pierre d’Arena. Par la route