Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.
232
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

un ciel serein passait pour la plus menaçante. Mais la bulle conservait encore un caractère de faiblesse : Napoléon, compris parmi les spoliateurs de l’Église, n’était pas expressément nommé. Le temps était aux frayeurs ; les timides se réfugièrent en sûreté de conscience dans cette absence d’excommunication nominale. Il fallait combattre à coups de tonnerre ; il fallait rendre foudre pour foudre, puisqu’on n’avait pas pris le parti de se défendre ; il fallait faire cesser le culte, fermer les portes des temples, mettre les églises en interdit, ordonner aux prêtres de ne plus administrer les sacrements. Que le siècle fût propre ou non à cette haute aventure, utile était de la tenter : Grégoire VII n’y eût pas manqué. Si d’une part il n’y avait pas assez de foi pour soutenir une excommunication, de l’autre il n’y en avait plus assez pour que Bonaparte, devenant un Henri VIII, se fît chef d’une Église séparée. L’empereur, par l’excommunication complète, se fût trouvé dans des difficultés inextricables : la violence peut fermer les églises, mais elle ne les peut ouvrir ; on ne saurait ni forcer le peuple à prier, ni contraindre le prêtre à offrir le saint sacrifice. Jamais on n’a joué contre Napoléon toute la partie qu’on pouvait jouer.

Un prêtre de soixante et onze ans, sans un soldat, tenait en échec l’empire. Murat dépêcha sept cents Napolitains à Miollis, l’inaugurateur de la fête de Virgile à Mantoue. Radet[1], général de gendarmerie

  1. Étienne Radet (1762-1825). Il était l’homme des missions pénibles. Pendant les Cent-Jours, l’Empereur le chargea de conduire à Cette le duc d’Angoulême qui devait s’y embarquer pour l’Espagne. Cette nouvelle besogne accomplie, il fut nommé ins-