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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

gleterre au ban du monde, et fut au moment de s’accomplir ; ce décret paraissait fou, il n’était qu’immense. Nonobstant, si le blocus continental créa d’un côté les manufactures de la France, de l’Allemagne, de la Suisse et de l’Italie, de l’autre il étendit le commerce anglais sur le reste du globe : en gênant les gouvernements de notre alliance, il révolta des intérêts industriels, fomenta des haines, et contribua à la rupture entre le cabinet des Tuileries et le cabinet de Saint-Pétersbourg. Le blocus fut donc un acte douteux : Richelieu ne l’aurait pas entrepris[1].

Bientôt, à la suite des autres États de Frédéric, la

  1. M. P. Lanfrey, dans son Histoire de Napoléon Ier (tome III, p. 511), juge en ces termes le décret de Berlin : « Une chose lui manqua radicalement dès son origine, c’est de pouvoir être exécuté ; car son exécution supposait non plus la docilité, mais le zèle et le concours des populations qui devaient en être victimes ! Aussi produisit-il beaucoup de maux et de vexations, mais il ne fut jamais une loi que sur le papier, et l’on doit moins y voir un acte que le défi d’une colère impuissante. Ce roi des rois, qui ne pouvait pas, en réunissant toutes ses forces et tous ses moyens, parvenir à mettre une barque à la mer, il décrétait avec un sang-froid superbe « que les îles britanniques seraient désormais en état de blocus ! » Il interdisait tout commerce et toute correspondance avec elles, il décidait que « tout individu, sujet de l’Angleterre, trouvé dans les pays occupés par nos troupes, serait fait prisonnier de guerre, » que les marchandises d’origine anglaise seraient saisies partout où on les découvrirait ; que « toute propriété quelconque, appartenant à un sujet anglais, serait déclarée de bonne prise »… Le décret fut envoyé au Sénat avec un message dans lequel Napoléon disait en substance que son extrême modération ayant seule amené le renouvellement de la guerre, il avait dû en venir à des dispositions « qui répugnaient à son cœur ; car il lui en coûtait de faire dépendre les intérêts des particuliers de la querelle des rois, et de revenir, après tant d’années de civilisation, aux principes qui caractérisent la barbarie des premiers actes des nations. » On ne pouvait mieux qualifier ce monument de folie et d’orgueil. »