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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

À Auërstaedt et à Iéna, le 14 octobre, la Prusse disparaît dans cette double bataille[1] ; je ne la retrouvai plus à mon retour de Jérusalem.

Le bulletin prussien peint tout dans une ligne : « L’armée du roi a été battue. Le roi et ses frères sont en vie. » Le duc de Brunswick survécut peu à ses blessures[2] : en 1792, sa proclamation avait soulevé la France ; il m’avait salué sur le chemin lorsque, pauvre soldat, j’allai rejoindre les frères de Louis XVI.

    simplement le prince Ferdinand ; l’histoire ne l’appelle jamais que le prince Louis) y fut tué. Âgé de vingt-quatre ans, fils du prince Auguste-Ferdinand, frère du grand Frédéric, il était l’idole de l’armée. L’épée à la main, il cherchait à rallier ses régiments, lorsqu’il fut attaqué corps à corps par un maréchal-des-logis du 10e de hussards, nommé Guindé. « Rendez-vous, colonel, lui dit le sous-officier, ou vous êtes mort. » Le prince lui répondit par un coup de sabre ; le maréchal-des-logis riposta par un coup de pointe, et le prince tomba mort.

  1. Des deux batailles qui eurent lieu le 14 octobre, la plus importante est celle d’Auërstaedt, où le maréchal Davout eut sur les bras la plus grande partie de l’armée prussienne, commandée par le roi de Prusse en personne et par le duc de Brunswick. À Iéna, Napoléon n’eût affaire, avec des forces supérieures, qu’à la plus faible partie de l’armée ennemie. Davout avait devant lui soixante mille hommes, et Napoléon quarante mille seulement. L’Empereur intervertit complètement les rôles dans son cinquième bulletin. Tandis qu’il réduisait à cinquante mille — au lieu de soixante — l’armée contre laquelle avait eu à lutter Davout, il portait à quatre-vingt mille — au lieu de quarante — celle qu’il avait eu à combattre. Il ne fit de la bataille d’Auërstaedt qu’un épisode très secondaire de la bataille d’Iéna, tandis qu’elle en était l’événement capital et décisif. Et c’est ainsi que l’admirable victoire d’Auërstaedt s’est presque effacée et a comme disparu dans le rayonnement de celle d’Iéna.
  2. C’est à Auërstaedt que le duc de Brunswick fut mortellement blessé. Il était âgé de 72 ans.