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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

un jours, il double le cap Bon ; il gagne les côtes de Sardaigne, est forcé de relâcher à Ajaccio[1], promène ses regards sur les lieux de sa naissance, reçoit quelque argent du cardinal Fesch, et se rembarque ; il découvre une flotte anglaise qui ne le poursuit pas. Le 8 octobre, il rentre dans la rade de Fréjus, non loin de ce golfe Juan où il se devait manifester une terrible et dernière fois. Il aborde à terre, part, arrive à Lyon, prend la route du Bourbonnais, entre à Paris le 16 octobre. Tout parait disposé contre lui, Barras, Sieyès, Bernadotte, Moreau ; et tous ces opposants le servent comme par miracle. La conspiration s’ourdit ; le gouvernement est transféré à Saint-Cloud. Bonaparte veut haranguer le conseil des Anciens : il se trouble, il balbutie les mots de frères d’armes, de volcan, de victoire, de César ; on le traite de Cromwell, de tyran, d’hypocrite : il veut accuser et on l’accuse : il se dit accompagné du dieu de la guerre et du dieu de la fortune ; il se retire en s’écriant : « Qui m’aime me suive ! » On demande sa mise en accusation ; Lucien, président du conseil des Cinq-Cents, descend de son fauteuil pour ne pas mettre Napoléon hors la loi. Il tire son épée et jure de percer le sein de son frère si jamais il essaye de porter atteinte à la liberté. On parlait de faire fusiller le soldat déserteur, l’infracteur des lois sanitaires, le porteur de la peste, et on le couronne. Murat fait sauter par les fenêtres les représentants : le 18 brumaire s’accomplit[2] ; le gouvernement consulaire naît, et la liberté meurt.

Alors s’opère dans le monde un changement absolu :

  1. Le 30 septembre 1799.
  2. 9 novembre 1799.