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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ceaux de victoires comme dans les sables étincelants de ces déserts.

Le billet suivant frappe tristement l’esprit : « J’ai été peu satisfait, citoyen général, de toutes vos opérations pendant le mouvement qui vient d’avoir lieu. Vous avez reçu l’ordre de vous porter au Caire, et vous n’en avez rien fait. Tous les évènements qui peuvent survenir ne doivent jamais empêcher un militaire d’obéir, et le talent à la guerre consiste à lever les difficultés qui peuvent rendre difficile une opération, et non pas à la faire manquer. Je vous dis ceci pour l’avenir. »

Ingrat d’avance, cette rude instruction de Bonaparte est adressée à Desaix qui offrait à la tête des braves, dans la Haute-Égypte, autant d’exemples d’humanité que de courage, marchant au pas de son cheval, causant de ruines, regrettant sa patrie, sauvant des femmes et des enfants, aimé des populations qui l’appelaient le Sultan juste, enfin à ce Desaix tué depuis à Marengo dans la charge par laquelle le premier consul devint le maître de l’Europe. Le caractère de l’homme perce dans le billet de Napoléon : domination et jalousie ; on pressent celui que toute renommée afflige, le prédestinateur auquel est donné la parole qui reste et qui contraint ; mais sans cet esprit de commandement Bonaparte aurait-il pu tout abattre devant lui ?

Prêt à quitter le sol antique où l’homme d’autrefois s’écriait en expirant : « Puissances qui dispensez la vie aux hommes, recevez-moi et accordez-moi une demeure parmi les dieux immortels ! » Bonaparte ne songe qu’à son avenir de la terre : il fait avertir