Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/170

Cette page a été validée par deux contributeurs.
158
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

d’Alexandre, de César : siècles à venir, vous y ramènerez des armées non moins nombreuses, des guerriers non moins célèbres[1]. »

Après m’être guidé sur les traces encore récentes de Bonaparte en Orient, je suis ramené quand il n’est plus à repasser sur sa course.

Saint-Jean était défendu par Djezzar le Boucher. Bonaparte lui avait écrit de Jaffa, le 9 mars 1799 : « Depuis mon entrée en Égypte, je vous ai fait connaître plusieurs fois que mon intention n’était pas de vous faire la guerre, que mon seul but était de chasser les mameloucks… Je marcherai sous peu de jours sur Saint-Jean-d’Acre. Mais quelle raison ai-je d’ôter quelques années de vie à un vieillard que je ne connais pas ? Que font quelques lieues de plus à côté des pays que j’ai conquis ? »

Djezzar ne se laissa pas prendre à ces caresses : le vieux tigre se défiait de l’ongle de son jeune confrère. Il était environné de domestiques mutilés de sa propre main. « On raconte que Djezzar est un Bosnien cruel, disait-il de lui-même (récit du général Sébastiani), un homme de rien ; mais en attendant je n’ai besoin de personne et l’on me recherche. Je suis né pauvre ; mon père ne m’a légué que son courage. Je me suis élevé à force de travaux ; mais cela ne me donne pas d’orgueil : car tout finit, et aujourd’hui peut-être, ou demain, Djezzar finira, non pas qu’il soit vieux, comme le disent ses ennemis, mais parce que Dieu l’a ainsi ordonné. Le roi de France, qui était puissant, a péri ; Nabuchodonosor a été tué par un moucheron, etc. »

  1. Les Martyrs, livre XI.