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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

prisonniers de Jaffa furent mis en mouvement au milieu d’un vaste bataillon carré formé par les troupes du général Bon. Un bruit sourd du sort qu’on leur préparait me détermina, ainsi que beaucoup d’autres personnes, à monter à cheval et à suivre cette colonne silencieuse de victimes, pour m’assurer si ce qu’on m’avait dit était fondé. Les Turcs, marchant pêle-mêle, prévoyaient déjà leur destinée ; ils ne versaient point de larmes ; ils ne poussaient point de cris : ils étaient résignés. Quelques-uns blessés, ne pouvant suivre aussi promptement, furent tués en route à coups de baïonnette. Quelques autres circulaient dans la foule, et semblaient donner des avis salutaires dans un danger aussi imminent. Peut-être les plus hardis pensaient-ils qu’il ne leur était pas impossible d’enfoncer le bataillon qui les enveloppait ; peut-être espéraient-ils qu’en se disséminant dans les champs qu’ils traversaient, un certain nombre échapperait à la mort. Toutes les mesures avaient été prises à cet égard, et les Turcs ne firent aucune tentative d’évasion.

« Arrivés enfin dans les dunes de sable au sud-ouest de Jaffa, on les arrêta auprès d’une mare d’eau jaunâtre. Alors l’officier qui commandait les troupes fit diviser la masse par petites portions, et ces pelotons, conduits sur plusieurs points différents, y furent fusillés. Cette horrible opération demanda beaucoup de temps, malgré le nombre des troupes réservées pour ce funeste sacrifice, et qui, je dois le déclarer, ne se prêtaient qu’avec une extrême répugnance au ministère abominable qu’on exigeait de leurs bras victorieux, il y avait près de la mare