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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

rant s’efforçait de justifier le gênait : ce fait est passé sous silence ou indiqué vaguement dans les dépêches officielles et dans les récits des hommes attachés à Bonaparte. « Je me dispenserai, dit le docteur Larrey, de parler des suites horribles qu’entraîne ordinairement l’assaut d’une place : j’ai été le triste témoin de celui de Jaffa. » Bourrienne s’écrie : « Cette scène atroce me fait encore frémir, lorsque j’y pense, comme le jour où je la vis, et j’aimerais mieux qu’il me fût possible de l’oublier que d’être forcé de la décrire. Tout ce qu’on peut se figurer d’affreux dans un jour de sang serait encore au-dessous de la réalité[1]. » Bonaparte écrit au Directoire que : « Jaffa fut livré au pillage et à toutes les horreurs de la guerre, qui jamais ne lui a paru si hideuse. » Ces horreurs, qui les avait commandées ?

Berthier, compagnon de Napoléon en Égypte, étant au quartier général de l’Ens, en Allemagne, adressa, le 5 mai 1809, au major général de l’armée autrichienne une dépêche foudroyante contre une prétendue fusillade exécutée dans le Tyrol où commandait Chasteller : « Il a laissé égorger (Chasteller) sept cents prisonniers français et dix-huit à dix-neuf cents Bavarois ; crime inouï dans l’histoire des nations, qui eût pu exciter une terrible représaille, si S. M. ne regardait les prisonniers comme placés sous sa foi et sous son honneur. »

Bonaparte dit ici tout ce que l’on peut dire contre l’exécution des prisonniers de Jaffa. Que lui importaient de telles contradictions ? Il connaissait la vérité

  1. Mémoires de M. de Bourrienne, tome II, p. 226.