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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

docteur O’Meara. Mais il en rejetait l’odieux sur la position dans laquelle il se trouvait : il ne pouvait nourrir les prisonniers ; il ne les pouvait renvoyer en Égypte sous escorte. Leur laisser la liberté sur parole ? ils ne comprendraient même pas ce point d’honneur et ces procédés européens. « Wellington dans ma place, disait-il, aurait agi comme moi. »

« Napoléon se décida, dit M. Thiers, à une mesure terrible et qui est le seul acte cruel de sa vie ; il fit passer au fil de l’épée les prisonniers qui lui restaient : l’armée consomma avec obéissance, mais avec une espèce d’effroi, l’exécution qui lui était commandée. »

Le seul acte cruel de sa vie, c’est beaucoup affirmer après les massacres de Toulon, après tant de campagnes où Napoléon compta à néant la vie des hommes. Il est glorieux pour la France que nos soldats aient protesté par une espèce d’effroi contre la cruauté de leur général.

Mais les massacres de Jaffa sauvaient-ils notre armée ? Bonaparte ne vit-il pas avec quelle facilité une poignée de Français renversa les forces du pacha de Damas ? À Aboukir, ne détruisit-il pas avec quelques chevaux treize mille Osmanlis ? Kléber, plus tard, ne fit-il pas disparaître le grand vizir et ses myriades de mahométans ? S’il s’agissait de droit, quel droit les Français avaient-ils eu d’envahir l’Égypte ? Pourquoi égorgeaient-ils des hommes qui n’usaient que du droit de la défense ? Enfin Bonaparte ne pouvait invoquer les lois de la guerre, puisque les prisonniers de la garnison de Jaffa avaient mis bas les armes et que leur soumission avait été acceptée. Le fait que le conqué-