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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Le nom de Tallien terminera la liste de ces noms aujourd’hui presque inconnus :


TALLIEN À MADAME TALLIEN[1].

« Quant à moi, ma chère amie, je suis ici, comme tu le sais, bien contre mon gré ; ma position devient chaque jour plus désagréable, puisque, séparé de mon pays, de tout ce qui m’est cher, je ne prévois pas le moment où je pourrai m’en rapprocher.

« Je te l’avoue bien franchement, je préférerais mille fois être avec toi et la fille retiré dans un coin de terre, loin de toutes les passions, de toutes les intrigues, et je t’assure que si j’ai le bonheur de retoucher le sol de mon pays, ce sera pour ne le quitter jamais. Parmi les quarante mille Français qui sont ici, il n’y en a pas quatre qui pensent autrement.

« Rien de plus triste que la vie que nous menons ici ! Nous manquons de tout. Depuis cinq jours je n’ai pas fermé l’œil ; je suis couché sur le carreau ; les mouches, les punaises, les fourmis, les cousins, tous les insectes nous dévorent, et vingt fois chaque jour je regrette notre charmante chaumière[2]. Je t’en prie, ma chère amie, ne t’en défais pas.

« Adieu, ma bonne Thérésia, les larmes inondent mon papier. Les souvenirs les plus doux de ta bonté,

  1. Jeanne-Marie-Ignace-Thérésia Cabarrus (1773-1835). Elle fut mariée : 1o en 1788, à Jean-Jacques Devin ou Davin de Fontenay, avec lequel elle divorça en 1793 ; 2o en 1794, au conventionnel Tallien, avec lequel elle divorça en 1802 ; 3o en 1805, au comte de Caraman, plus tard prince de Chimay.
  2. Tallien avait donné ce nom à l’opulente maison de campagne qu’il possédait dans le voisinage de Paris.