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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Revenu au Caire, Bonaparte célèbre la fête anniversaire de la fondation de la République, en adressant ces paroles à ses soldats : « Il y a cinq ans l’indépendance du peuple français était menacée ; mais vous prîtes Toulon : ce fut le présage de la ruine de vos ennemis. Un an après, vous battiez les Autrichiens à Dego ; l’année suivante, vous étiez sur le sommet des Alpes ; vous luttiez contre Mantoue, il y a deux ans, et vous remportiez la célèbre victoire de Saint-Georges ; l’an passé, vous étiez aux sources de la Drave et de l’Isonzo, de retour de l’Allemagne. Qui eût dit alors que vous seriez aujourd’hui sur les bords du Nil, au centre de l’ancien continent ! »

Mais Bonaparte, au milieu des soins dont il était occupé et des projets qu’il avait conçus, était-il réellement fixé dans ces idées ? Tandis qu’il avait l’air de vouloir rester en Égypte, la fiction ne l’aveuglait pas sur la réalité, et il écrivait à Joseph, son frère : « Je pense être en France dans deux mois ; fais en sorte que j’aie une campagne à mon arrivée, soit près de Paris ou en Bourgogne : je compte y passer l’hiver. » Bonaparte ne calculait point ce qui pouvait s’opposer à son retour : sa volonté était sa destinée et sa fortune. Cette correspondance tombée aux mains de l’Amirauté[1], les Anglais ont osé avancer que Napoléon n’avait eu d’autre mission que de faire périr son armée. Une

  1. Elle fut publiée à Londres, et bientôt après à Paris, sous le titre : Correspondance de l’Armée française en Égypte, interceptée par l’escadre de Nelson ; publiée à Londres avec une introduction et des notes de la Chancellerie anglaise, traduites en français ; suivies d’Observations, par E.-T. Simon. Un vol. in-8o, an VII.