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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Remercions Bonaparte, aux Pyramides, de nous avoir si bien justifiés, nous autres petits hommes d’État entachés de poésie, qui maraudons de chétifs mensonges sur des ruines.

D’après les proclamations, les ordres du jour, les discours de Bonaparte, il est évident qu’il visait à se faire passer pour l’envoyé du ciel, à l’instar d’Alexandre. Callisthène[1], à qui le Macédonien infligea dans la suite un si rude traitement, en punition sans doute de la flatterie du philosophe, fut chargé de prouver que le fils de Philippe était fils de Jupiter ; c’est ce que l’on voit dans un fragment de Callisthène conservé par Strabon. Le pourparler d’Alexandre, de Pasquier[2], est un dialogue des morts entre Alexandre le grand conquérant et Rabelais le grand moqueur : « Cours-moi de l’œil », dit Alexandre à Rabelais, toutes ces contrées que tu vois être en ces bas lieux, tu ne trouveras aucun personnage d’étoffe qui, pour autoriser ses pensées, n’ait voulu donner à entendre qu’il eût familiarité avec les dieux. » Rabelais répond : « Alexandre, pour te dire le vrai, je ne m’amusai jamais à reprendre tes petites particularités, mêmement en ce qui appartient au vin. Mais quel profit sens-tu de ta grandeur maintenant ? en es-tu autre que moi ? Le regret que tu as te doit causer telle fâcherie qu’il te seroit beaucoup plus

  1. Callisthène, disciple et petit-neveu d’Aristote, né vers 365 av. J.-C. Il suivit Alexandre dans ses expéditions. De mœurs sévères, il blâma les excès auxquels se livrait le Macédonien ; impliqué dans la conspiration d’Hermolaus, il fut, dit-on, enfermé dans une cage de fer, puis mis à mort à Cariate en Bactriane, l’an 328 av. J.-C.
  2. Étienne Pasquier (1529-1615).