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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Il est sept heures ; la nuit se fait et le feu redouble encore. À neuf heures et quelques minutes le vaisseau a sauté. Il est dix heures, le feu se ralentit et la lune se lève à droite du lieu où vient de s’élever l’explosion du vaisseau. »

Bonaparte au Caire déclare au chef de la loi qu’il sera le restaurateur des mosquées ; il envoie son nom à l’Arabie, à l’Éthiopie, aux Indes. Le Caire se révolte[1] ; il le bombarde au milieu d’un orage ; l’inspiré dit aux croyants : « Je pourrais demander à chacun de vous compte des sentiments les plus secrets de son cœur, car je sais tout, même ce que vous n’avez dit à personne. » Le grand schérif de la Mecque le nomme, dans une lettre, le protecteur de la Kaaba ; le pape, dans une missive, l’appelle mon très cher fils.

Par une infirmité de nature, Bonaparte préférait souvent son côté petit à son grand côté. La partie qu’il pouvait gagner d’un seul coup ne l’amusait pas. La main qui brisait le monde se plaisait au jeu des gobelets ; sûr, quand il usait de ses facultés, de se dédommager de ses pertes ; son génie était le réparateur de son caractère. Que ne se présenta-t-il tout d’abord comme l’héritier des chevaliers ? Par une position double, il n’était, aux yeux de la multitude musulmane, qu’un faux chrétien et qu’un faux mahométan. Admirer des impiétés de système, ne pas reconnaître ce qu’elles avaient de misérable, c’est se tromper misérablement : il faut pleurer quand le géant se réduit à l’emploi du grimacier. Les infidèles proposèrent à saint Louis dans les fers la couronne d’Égypte, parce

  1. 21 octobre.