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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

vrer, des dangers, des fatigues à vaincre ; vous ferez plus que vous n’avez fait pour la prospérité de la patrie, le bonheur des hommes et votre propre gloire.»


Après cette proclamation de souvenirs, Napoléon s’embarque : on dirait d’Homère ou du héros qui enfermait les chants du Méonide dans une cassette d’or. Cet homme ne chemine pas tout doucement : à peine a-t-il mis l’Italie sous ses pieds, qu’il parait en Égypte ; épisode romanesque dont il agrandit sa vie réelle. Comme Charlemagne, il attache une épopée à son histoire. Dans la bibliothèque qu’il emporta se trouvaient Ossian, Werther, la Nouvelle Héloïse et le Vieux Testament : indication du chaos de la tête de Napoléon. Il mêlait les idées positives et les sentiments romanesques, les systèmes et les chimères, les études sérieuses et les emportements de l’imagination, la sagesse et la folie. De ces productions incohérentes du siècle il tira l’Empire ; songe immense, mais rapide comme la nuit désordonnée qui l’avait enfanté.

Entré dans Toulon le 9 mai 1798, Napoléon descend à l’hôtel de la Marine ; dix jours après il monte sur le vaisseau amiral l’Orient ; le 19 mai il met à la voile ; il part de la borne où la première fois il avait répandu le sang, et un sang français : les massacres de Toulon l’avaient préparé aux massacres de Jaffa. Il menait avec lui les généraux premiers-nés de sa gloire : Berthier, Caffarelli, Kléber, Desaix, Lannes, Murat, Menou. Treize vaisseaux de ligne, quatorze frégates, quatre cents bâtiments de transport, l’accompagnent.

Nelson le laissa échapper du port et le manqua sur