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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dont les corps étaient dispersés de Brest à Anvers. Bonaparte passa son temps à des inspections, à des visites aux autorités civiles et scientifiques, tandis qu’on assemblait les troupes qui devaient composer l’armée d’Égypte. Survint l’échauffourée du drapeau tricolore et du bonnet rouge, que notre ambassadeur à Vienne, le général Bernadotte, avait planté sur la porte de son palais[1]. Le Directoire se disposait à re-

    que le général Bonaparte se rendra à Brest dans le courant de la décade, pour y prendre le commandement de l’armée d’Angleterre.

  1. Le 18 avril 1798, vers six heures du soir, Bernadotte, alors ambassadeur à Vienne, fit suspendre au balcon du premier étage de son hôtel un drapeau tricolore d’environ quatre aunes, attaché à une hampe extrêmement longue avec cette inscription : « République française ». Jamais à Vienne les ambassadeurs n’arboraient le drapeau de leur pays. Aussi des groupes se formèrent très vite devant l’hôtel, et le peuple viennois vit une provocation véritable dans le fait d’avoir arboré ce grand drapeau contre tous les usages ; l’ambassadeur, disait-on, avait voulu déclarer ainsi qu’il regardait Vienne comme une ville conquise. Bientôt une foule immense se rassembla devant l’ambassade. Un aide de camp de Bernadotte vint à la porte du palais et, la main sur la poignée de son sabre, il harangua les Viennois avec mépris et déclama avec rage contre la police. La foule lança alors des pierres contre les fenêtres ; un serrurier grimpe au balcon et en arrache le drapeau qui fut immédiatement brûlé. La police arrivait, mais elle n’était pas encore assez forte pour dissiper un attroupement aussi nombreux. La porte du palais fut enfoncée, et une foule furieuse pénétra dans l’intérieur, et se trouva en face de l’ambassadeur, de ses secrétaires et de ses aides de camp armés de sabres et de pistolets. Bernadotte brandissait son sabre et criait avec fureur : « Qu’ose donc cette canaille ? J’en tuerai au moins six ». et menaçait de venir châtier ce peuple à coups de canons. Un de ses domestiques tira deux coups de pistolet, dont fort heureusement les envahisseurs ne parurent pas s’émouvoir beaucoup. Ils pénétrèrent dans la cuisine et les écuries, et brisèrent les voitures de l’ambassadeur. Les troupes étaient casernées dans les faubourgs, à une grande distance de l’ambassade. Ce fut seulement à minuit qu’une divi-