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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

rope, et je crois qu’un mauvais général vaut mieux que deux bons. »

Le 1er juin 1796 les Autrichiens sont entièrement expulsés d’Italie, et nos avant-postes éclairent les monts de l’Allemagne : « Nos grenadiers et nos carabiniers », écrit Bonaparte au Directoire, « jouent et rient avec la mort. Rien n’égale leur intrépidité, si ce n’est la gaieté avec laquelle ils font les marches les plus forcées. Vous croiriez qu’arrivés au bivouac ils doivent au moins dormir ; pas du tout : chacun fait son conte ou son plan d’opération du lendemain, et souvent on en voit qui rencontrent très juste. L’autre jour je voyais défiler une demi-brigade ; un chasseur s’approcha de mon cheval : Général, me dit-il, il faut faire cela. — Malheureux, lui dis-je, veux-tu bien te taire ! Il disparaît à l’instant ; je l’ai fait en vain chercher : c’était justement ce que j’avais ordonné que l’on fît. »

Les soldats gradèrent leur commandant : à Lodi[1] ils le firent caporal, à Castiglione[2] sergent.

Le 15 de novembre on débouche sur Arcole : le jeune général passe le pont qui l’a rendu fameux : dix mille hommes restent sur la place. « C’était un chant de l’Iliade ! » s’écriait Bonaparte au seul souvenir de cette action.

En Allemagne, Moreau accomplissait la célèbre retraite[3] que Napoléon appelait une retraite de sergent.

  1. Le 10 mai 1796.
  2. Le 5 août 1796.
  3. Septembre-octobre 1796. Les généraux de division Reynier, Desaix, Gouvion-Saint-Cyr, et le général Dessoles, chef de l’état-major, partagent avec Moreau l’honneur de cette admirable retraite.