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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sans souliers, sans pain, sans discipline. Il avait vingt-huit ans ; sous ses ordres Masséna commandait trente-six mille hommes. C’était l’an 1796. Il ouvre sa première campagne le 20 mars, date fameuse qui devait se graver plusieurs fois dans sa vie. Il bat Beaulieu à Montenotte[1] ; deux jours après, à Millesimo[2], il sépare les deux armées autrichienne et sarde. À Ceva, à Mondovi[3], à Fossano, à Cherasco[4], les succès continuent ; le génie de la guerre même est descendu. Cette proclamation fait entendre une voix nouvelle, comme les combats avaient annoncé un homme nouveau :

« Soldats ! vous avez remporté, en quinze jours, six victoires, pris vingt et un drapeaux, cinquante-cinq pièces de canon, quinze mille prisonniers, tué ou blessé plus de dix mille hommes. Vous avez gagné des batailles sans canon, passé des rivières sans ponts, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie et souvent sans pain. Les phalanges républicaines, les soldats de la liberté, étaient seuls capables de souffrir ce que vous avez souffert ; grâces vous soient rendues, soldats !…

« Peuples d’Italie ! l’armée française vient rompre vos chaines ; le peuple français est l’ami de tous les peuples. Nous n’en voulons qu’aux tyrans qui vous asservissent. »

Dès le 15 mai la paix est conclue entre la République française et le roi de Sardaigne ; la Savoie est cédée à

  1. Le 12 avril 1796.
  2. Le 14 avril.
  3. Le 22 avril.
  4. Le 25 avril.