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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

l’argent ; mais n’oublie pas que je ne veux pas de bien national[1]. » Bonaparte s’est ravisé sous l’Empire : il a fait grand cas des biens nationaux.

Ces émeutes de vendémiaire terminent l’époque des émeutes : elles ne se sont renouvelées qu’en 1830, pour mettre fin à la monarchie.

Quatre mois après les journées de vendémiaire[2], le 19 ventôse (9 mars) an iv, Bonaparte épousa Marie-Josèphe-Rose de Tascher. L’acte ne fait aucune mention de la veuve du comte de Beauharnais. Tallien et Barras sont témoins au contrat. Au mois de juin Bonaparte est appelé au généralat des troupes cantonnées dans les Alpes maritimes ; Carnot réclame contre Barras l’honneur de cette nomination. On appelait le commandement de l’armée d’Italie la dot de madame Beauharnais. Napoléon, racontant à Sainte-Hélène, avec dédain, avoir cru s’allier à une grande dame, manquait de reconnaissance.

Napoléon entre en plein dans ses destinées : il avait eu besoin des hommes, les hommes vont avoir besoin de lui ; les événements l’avaient fait, il va faire les événements. Il a maintenant traversé ces malheurs auxquels sont condamnées les natures supérieures avant d’être reconnues, contraintes de s’humilier sous les médiocrités dont le patronage leur est nécessaire : le germe du plus haut palmier est d’abord abrité par l’Arabe sous un vase d’argile.


Arrivé à Nice, au quartier général de l’armée d’Italie, Bonaparte trouve les soldats manquant de tout, nus,

  1. Mémoires de M. de Bourrienne, tome I, p. 103.
  2. Plus exactement cinq mois.