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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

avait distribué les postes avec beaucoup d’habileté. Napoléon foudroya les sections et dit : « J’ai mis mon cachet sur la France. » Attila avait dit : « Je suis le marteau de l’univers, ego malleus orbis. »

Après le succès, Napoléon craignit de s’être rendu impopulaire, et il assura qu’il donnerait plusieurs années de sa vie pour effacer cette page de notre histoire.

Il existe un récit des journées de vendémiaire de la main de Napoléon : il s’efforce de prouver que ce furent les sections qui commencèrent le feu. Dans leur rencontre il put se figurer être encore à Toulon : le général Carteaux était à la tête d’une colonne sur le Pont-Neuf ; une compagnie de Marseillais marchait sur Saint-Roch ; les postes occupés par les gardes nationales furent successivement emportés. Réal, de la narration duquel je vous ai déjà entretenu, finit son exposition par ces niaiseries que croient ferme les Parisiens : c’est un blessé qui, traversant le salon des Victoires, reconnaît un drapeau qu’il a pris : « N’allons pas plus loin, dit-il d’une voix expirante, je veux mourir ici ; » c’est la femme du général Dufraisse qui coupe sa chemise pour en faire des bandes ; ce sont les deux filles de Durocher qui administrent le vinaigre et l’eau-de-vie. Réal attribue tout à Barras : flagornerie de réticence ; elle prouve qu’en l’an iv Napoléon, vainqueur au profit d’un autre, n’était pas encore compté.

Il paraît que Bonaparte n’espérait pas tirer un grand avantage de sa victoire sur les sections, car il écrivait à Bourrienne : « Cherche un petit bien dans ta belle vallée de l’Yonne ; je l’achèterai dès que j’aurai de