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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

rant épouser Pauline Bonaparte (la princesse Borghèse), prêtait son appui au jeune général.

Loin des criailleries du forum et de la tribune, Bonaparte se promenait le soir au Jardin des Plantes avec Junot. Junot[1] lui racontait sa passion pour Pau-

    Marat ; il devient maintenant, toujours dans l’Orateur du peuple, le défenseur des contre-révolutionnaires. À la tête d’une bande de jeunes aristocrates, parés d’habits élégants, coiffés en cadenettes et la tête ornée de poudre — la Jeunesse dorée de Fréron, — il parcourt la ville en insultant et en malmenant « les patriotes » aux accents du Réveil du peuple, chanson royaliste à la mode. Puis voici qu’après le 13 vendémiaire, quand les royalistes sont vaincus, il revient à la Montagne. Tel est l’homme qui faillit épouser Pauline Bonaparte, et devenir le beau-frère du futur Empereur. On lira, dans Napoléon et sa famille (tome I, p. 150-163) les curieux détails que donne M. Frédéric Masson sur les amours de Paulette et de Fréron. Bonaparte, après le 18 brumaire, donna à son beau-frère manqué une place modeste dans l’administration des hospices, puis, en 1802, le nomma sous-préfet de l’un des arrondissements de Saint-Domingue. Fréron, pour se rendre à son poste, partit avec le général Leclerc, — et avec Paulette, devenue Mme Leclerc, en attendant d’être la princesse Borghèse. À peine arrivé à destination, il succomba victime des rigueurs du climat.

  1. Andoche Junot, duc d’Abrantès (1771-1813). Ami du général Bonaparte, qu’il avait connu au siège de Toulon, il fut emmené par lui en Égypte ; général de division en 1801, il devint commandant et gouverneur de Paris (1804). Mis en 1807 à la tête de l’armée dirigée contre le Portugal, il s’empara facilement de ce royaume et fut créé duc d’Abrantès ; mais, l’année suivante, à la suite de la défaite de Vimeiro, il dut signer la capitulation de Cintra et abandonner sa conquête. Cet insuccès lui valut la disgrâce de Napoléon ; il fut cependant admis à prendre part à la guerre d’Espagne (1810) et à la campagne de Russie. En 1813, il fut nommé gouverneur des provinces illyriennes. Tomber gouverneur à Trieste, après avoir été à la veille — il le croyait du moins — d’être roi à Lisbonne, le coup était rude. Le malheureux perdit la raison. Ramené en France, il mourut à Montbard le 27 juillet 1813. — Voir sur lui les Mémoires de sa femme et surtout les Mémoires du général Thiébault, tomes II, III, IV et V.