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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

rieur, l’autre admirable à l’extérieur ; on opposait la gloire à nos crimes, comme Bonaparte l’opposa à nos libertés. Nous avons toujours rencontré pour écueil devant nous nos victoires.

Il est utile de faire remarquer l’anachronisme que l’on commet en attribuant nos succès à nos énormités : ils furent obtenus avant et après le règne de la Terreur ; donc la Terreur ne fut pour rien dans la domination de nos armes. Mais ces succès eurent un inconvénient : ils produisirent une auréole autour de la tête des spectres révolutionnaires. On crut sans examiner la date que cette lumière leur appartenait. La prise de la Hollande, le passage du Rhin, semblèrent être la conquête de la hache, non de l’épée. Dans cette confusion on ne devinait pas comment la France parviendrait à se débarrasser des entraves qui, malgré la catastrophe des premiers coupables, continuaient de la presser : le libérateur était là pourtant.

Bonaparte avait conservé la plupart et la plus mauvaise part des amis avec lesquels il s’était lié dans le Midi ; comme lui, ils s’étaient réfugiés dans la capitale. Saliceti, demeuré puissant par la fraternité jacobine, s’était rapproché de Napoléon ; Fréron[1], dési-

  1. Louis-Marie-Stanislas Fréron (1754-1802), fils du célèbre critique de l’Année littéraire et neveu de l’abbé Royou, le rédacteur de l’Ami du roi. Député de Paris à la Convention, et l’un des membres les plus exaltés de la Montagne, il fut, après le 31 mai, désigné avec Barras, Saliceti et Robespierre le jeune, comme commissaire auprès de l’armée chargée de reprendre Marseille sur les insurgés. À Marseille, et plus tard à Toulon, il se signala par d’abominables cruautés. Après la chute de Robespierre, il revendiqua le titre de Thermidorien et quitta la Montagne pour aller siéger au côté droit. Autrefois, dans l’Orateur du peuple, il avait rivalisé de fureur révolutionnaire avec