Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Un des signataires de la radiation est Cambacérès, qui devint le second personnage de l’Empire[1].

Aigri par les persécutions, Napoléon songea à émigrer ; Volney l’en empêcha. S’il eût exécuté sa résolution, la cour fugitive l’eût méconnu ; il n’y avait pas d’ailleurs de ce côté de couronne à prendre ; j’aurais eu un énorme camarade, géant courbé à mes côtés dans l’exil.

L’idée de l’émigration abandonnée, Bonaparte se retourna vers l’Orient, doublement congénial à sa nature par le despotisme et l’éclat. Il s’occupa d’un mémoire pour offrir son épée au Grand Seigneur[2] : l’inaction et l’obscurité lui étaient mortelles. « Je serai utile à mon pays, s’écriait-il, si je puis rendre la force des Turcs plus redoutable à l’Europe. » Le gouvernement ne répondit point à cette note d’un fou, disait-on.

  1. Le 29 fructidor an III (15 septembre 1795), le Comité de Salut public, dont Cambacérès est président, prend un arrêté par lequel « le général de brigade Buonaparte, ci-devant mis en réquisition prés du Comité, est rayé de la liste des officiers généraux employés, attendu son refus de se rendre au poste qui lui a été assigné ».
  2. Le Sultan venait de demander à la France des officiers et des ouvriers d’artillerie pour réorganiser son armée. Bonaparte songea sérieusement à répondre à cet appel. Il écrivit à son frère Joseph, qui déjà, trois mois auparavant, l’avait entretenu d’un projet d’établissement en Turquie : « Si je demande, j’obtiendrai d’aller en Turquie, comme général d’artillerie, envoyé par le gouvernement pour organiser l’armée du Grand Seigneur, avec un bon traitement et un titre d’envoyé très flatteur ; je te ferai nommer consul et ferai nommer Villeneulve ingénieur pour y aller avec moi ; tu m’as dit que M. Anthoine y était déjà : ainsi, avant un mois, je viendrais à Gènes ; nous irions à Livourne, d’où nous partirions. » Le 13 fructidor (30 août 1795), il formula sa demande, qui fut sérieusement examinée par le Comité de Salut, public.